Vis ma vie de bénévole…

…sur la Spartan Race.
C’est donc aujourd’hui que je découvre l’envers du décor, le rôle de bénévole sur une course. J’arrive à 7h29 sur le site du circuit Paul-Ricard et la file pour le retrait des dossards est déjà d’une longueur impressionnante. Pourtant les départs sont donnés par vagues tous les quarts d’heure de 9h00 à 15h00 afin d’absorber les 5 800 participants.

File d'attente

File d’attente pour le retrait des dossards

Briefing

Je rejoins le Grand Prix Hall pendant le briefing de la première fournée de volontaires. Comme je suis affecté à l’un des derniers obstacles, je fais partie du second groupe et j’attends mon tour devant un café et un croissant. Tout ça dure un peu et prend un peu de retard, il faut dire que la cinquantaine de bénévoles manquant à l’appel impose de remanier les équipes et les affectations. Il est 8h50 quand le petit groupe affecté aux trois derniers obstacles se met en route. On a un peu moins de 2 km à parcourir à pied pour contourner la butte et il est 9h25 quand mon binôme et moi atteignons notre position, l’obstacle n°28, très judicieusement nommé « Cargo net », c’est-à-dire le filet à fret, par-dessus lequel les participants doivent passer.

Obstacle n°28

Obstacle n°28

La vague ‘élite’

On repère les alentours, on vérifie le balisage et on attend les premiers coureurs, la vague ‘élite’ partie à 9h00. On n’a pas à attendre très longtemps d’ailleurs, le premier déboule à 9h53, suivi par un cadreur.
Le caméraman est motorisé hein, un pilote en quad le transporte d’obstacle en obstacle.

Le premier coureur

Le premier coureur et ‘son’ caméraman

Le second est deux minutes derrière. Il se précipite sur l’obstacle, grimpe, bascule de l’autre côté puis hurle « Aaah ma cheville ! ». Son pied est pris dans une maille dont il n’arrive pas à se libérer. On n’a pas le droit d’intervenir physiquement sous peine d’élimination du coureur. Donc on crie. On lui demande de se soulever avec les bras pour soulager sa jambe et dégager son pied. Ce qu’il fait, probablement sans même nous avoir entendu. Il a l’air vraiment dans sa course. Il hurle non pas parce qu’il a mal mais parce qu’il perd du temps bêtement.
Second coureur

Le second coureur, pied coincé dans le filet

Petit à petit les espaces se resserrent. Ces coureurs-là s’inquiètent de leur position, le neuf ou dixième nous demande du haut du filet « J’suis combien ? »
La première féminine arrive à 11h12, moins de cinquante coureurs sont passés. Puis le goutte-à-goutte devient flot continu. On continue d’informer tout le monde sur la distance qu’il reste, moins de deux kilomètres. On leur demande d’assurer leurs appuis après la bascule au sommet, beaucoup se retrouvant avec une cheville prise dans les mailles.Vue éloignée du cargo net

La cohue

À 11h45 j’ai déjà la dalle. Le quad nous livre nos repas une heure plus tard, mais de l’autre côté du circuit les départs s’enchaînent au rythme implacable d’un par quart d’heure et le flux de coureurs grossit. Entre midi et deux ça se bouscule au portillon, et comme le filet ne permet qu’à un nombre limité de coureurs de passer simultanément, notre obstacle prend vite un faux air de World War Z.
Pas possible de faire une pause, je ne trouverai pas le temps d’engloutir mon paquet de chips et mon sandwich avant 14h00.

La cohue

L’engorgement donne des airs de World War Z à l’obstacle

On commence à distinguer l’arrivée des différentes vagues dans le flot des participants. Les furieux d’abord, torse nu pour exhiber leurs pecs et qui forcent le passage si ça bouchonne quitte à écrabouiller une phalange ou deux. Ensuite les clubs de cross-fit et les pompiers qui courent en groupe ; les sportifs dont quelques trailers qui se sont dit qu’une course d’obstacle c’est d’abord une course, hein ?
Puis les touristes. Le gros du peloton marqué par les 12 bornes déjà parcourues et qui souffre en silence. Quelques-uns sont vraiment dans le dur. Trempés des obstacles précédents et transis de froid, la température ne dépassant pas 10 ou 12°C. On leur déplie une couverture de survie quand ils arrivent, mais ça les gêne plus qu’autre chose sur l’obstacle, donc au final on ne leur donne qu’après.
Et au nombre des touristes on compte aussi la proportion habituelle de déguisés, ici les Dalton qui tentent une nouvelle fois de s’évader.
L'évasion des Dalton

Les Dalton tentent une nouvelle fois de s’évader

On encourage les coureurs sans interruption, on les conseille sur la technique de franchissement. Il faut dire qu’après avoir observé des milliers de passages on a compris ce qui aide : monter haut sur le filet avant de passer la jambe de l’autre côté, pour que le centre de gravité bascule plus facilement ; tourner autour du câble pour poser le premier pied déjà dans le sens de la descente ; marcher sur les nœuds et pas dans les mailles en quittant l’obstacle.
J’aurais cru qu’il faudrait aussi remonter le moral de ceux qui voudraient abandonner, mais il n’y a personne qui appartienne à cette espèce-là. Enfin si, j’en ai croisé un seul. Il voulait tout laisser tomber, mais au final il a passé l’obstacle (plutôt bien d’ailleurs) et il a continué en marchant. Je ne sais pas jusqu’où il est allé ensuite. Est-ce qu’il a franchi la ligne d’arrivée en fin de compte ?
Les autres, la très grande majorité, ont clairement l’intention d’aller jusqu’au bout coûte que coûte. Malgré un genou ou une cheville douloureuse ils continuent à leur rythme. Lentement mais sûrement. Certains s’appuient sur une branche, s’en servant comme d’une canne. Ils la posent au sol, franchissent le filet tant bien que mal, puis la reprennent et continuent comme si de rien n’était. Un a le genou tellement douloureux qu’il ne peut plus poser le pied au sol. Sachant qu’il ne pourra pas franchir le filet il effectue de lui-même les 30 burpees[1] de pénalité sur un seul pied et reprend sa route.

Les retardataires

Le flot de coureurs finit par se tarir. Les intervalles entre les groupes s’allongent, les groupes eux-mêmes sont moins denses. On peut de nouveau prendre le temps de les conseiller et de les encourager individuellement, comme au tout début.
Puis on attend. Plus personne n’arrive, on contacte la direction de course avec le talkie pour savoir où sont les derniers. Difficile d’avoir l’information. Le quad de la sécurité finit par passer dans notre secteur et nous informe qu’un trio ferme la marche. Ils se sont perdus et sont assez loin derrière.
Un duo arrive en marchant. Deux potes qui font le parcours ensemble. L’un n’en peut plus et avance au ralenti. L’autre l’attend et le taquine continuellement pour le pousser à avancer.
16h06, le trio tant attendu arrive à notre niveau. Ils sont partis avec une vague supplémentaire à 13h45, et apparemment certains obstacles avaient déjà été désertés par les bénévoles. Ils n’ont pas su suivre le balisage et ont parcouru deux kilomètres de trop.
Alors qu’ils s’éloignent, mon binôme et moi ramassons tout notre attirail, y compris le sac plastique qui fait office de poubelle et dans lequel on a rassemblé tous les déchets qu’on a trouvés dans le périmètre. Puis nous rentrons au village de la course, de l’autre côté du circuit où je récupère mon sac de goodies estampillés Spartan Race, à savoir un t-shirt, une gourde, un stylo et un bracelet en plastique souple imitant des fils de fer barbelés.Goodies "Spartan Race"

Conclusion

À chaud, c’est une expérience sympa, mais éprouvante. Je n’ai pas couru, à peine marché 4 ou 5 km[2] mais je suis lessivé comme si j’avais couru un 10 km.
Sans hésitation ça en valait la peine. J’ai pris le temps de discuter avec beaucoup de ceux qui s’arrêtaient après l’obstacle pour attendre leurs équipiers. Ceux qui avaient du temps et participaient dans le seul but de passer une journée mémorable. J’ai guidé un bon nombre de coureurs coincés en haut de l’obstacle pour les en faire descendre (du bon côté), certains m’ont remercié en arrivant en bas et ces mercis rendaient implicites les mercis muets des autres.
Je crois que je reproduirai l’expérience, d’autant plus que maintenant que j’ai vu une course d’obstacle, ça m’a donné envie de voir l’envers du décor d’une course sur route. Mais la prochaine fois j’emporterai du miel, je sens ce soir que ma voix me lâche à force de crier.


[1]. La pénalité réglementaire en vigueur dans les Spartan Races, composée d’une ‘pompe’ et d’un saut en levant les bras. À effectuer par série de 30.
[2]. J’ai emporté le Polar dans l’idée de voir la trace de la journée, mais j’ai oublié de le déclencher.

9 réflexions sur “Vis ma vie de bénévole…

  1. c’est bien de voir l’envers de decors; avec ces absences au dernier moment; la gestion de l’attente et des aleas (pied coincé) et surtout le sacré bordel du 12h (c’te photo) , un bon moment de stress pour les organisateurs et surement pour vous!! 🙂

  2. Charlotte dit :

    Très sympa de voir l’envers du décor ! J’aimerais aussi être volontaire pour une course, notamment j’y pense pour le marathon de Paris, c’est chouette d’être là pour aider ceux qui en chient !!

  3. Une bien belle mission qu’être bénévole d’une course ou de tout autre chose.
    Vu ce que tu racontes, cette course ne me tente pas plus que ça… Autant j’adorais le parcours du combattant à l’armée (le truc à finir en vomissant !) autant là… Pas trop… Je ne sais pas trop pourquoi. Je pense que les autres concurrents m’agaceraient (le mec qui hurle parce qu’il perd du temps…).
    Mais le mieux est de tester pour juger et découvrir ce type de course par l’envers du décor est finalement une excellente idée.

    • Si tu appréciais les parcours du combattant, ça devrait pourtant te plaire.
      Celui qui était agacé de perdre du temps était second et avait perdu le contact avec le premier à cause d’une pénalité. Il voyait ses chances de victoire s’évaporer.

  4. Des bénévoles il en faudra toujours, et puis, de se rendre compte de ce qui se passe dans les coulisses d’une course ça doit être bien sympas !
    Quand au coureurs ils ont l’air dans un très mauvais état pour certain, avec la boue et le froid ce genre de course doit laisser des traces sur l’organisme. Et je me rends compte que si je doit essayer un jour, il y a de forte chance pour que je fasse cela lors d’une saison plus chaude 😉 !

    • Beaucoup de participants m’ont fait la remarque que mai aurait été plus judicieux que novembre, et je vais faire remonter ça dans mon feedback à l’organisation.

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